Hommage à Mlle Laure Gaudreault

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J’ai eu la chance de rencontrer personnellement à quelques reprises Mlle Laure Gaudreault et je suis très émue de pouvoir lui rendre hommage.

Après une carrière d’enseignante en partie en milieu rural, Mlle Gaudreault décida de se consacrer à la défense et à l’amélioration de la tâche de la pauvre institutrice rurale qui travaillait dans des conditions pitoyables.

Elle fonda l’Association catholique des institutrices rurales (ACIR). Son action commença dans Charlevoix et la deuxième région qu’elle visita fut le Lac-Saint-Jean où je débutais ma carrière en 1937.

Elle voulait faire disparaître les inspecteurs d’école qui, en deux visites annuelles, se targuaient de bien savoir évaluer une «bonne» maîtresse. À un congrès de l’ACIR, elle avait comme conférencier un inspecteur d’école qui expliquait comment il s’y prenait : « Si j’ouvre le premier tiroir de son pupitre et qu’il est bien rangé, je dis : C’est une bonne maîtresse! Mais si le tiroir est en désordre, comment voulez-vous qu’elle soit bonne… » Mlle Gaudreault se lève d’un trait, s’empare du micro et, rouge de colère, elle lui rétorque : « Monsieur l’inspecteur, moi, pour voir si une rose sent bon, je n’ai pas besoin de la mettre près d’un tas de fumier! » Et elle retourne s’asseoir en réajustant son petit chapeau qui avait failli déguerpir tant sa colère était grande.

Ces inspecteurs d’école donnaient à l’institutrice une note qui était déposée chez le secrétaire-trésorier de la paroisse et que chacun pouvait aller consulter. De plus, il inscrivait ses impressions au registre des visiteurs et elles demeuraient dans les archives de l’école.

L’institutrice rurale travaillait dans des écoles non chauffées la nuit, sans eau courante ni toilettes intérieures. Comme il n’y avait pas de conventions collectives, chaque municipalité fixait elle-même le salaire de son personnel. Les salaires variaient : 150 $, 200 $, 300 $ pour un même secteur. Mlle Gaudreault demandait le même salaire que les infirmières qui gagnaient 500 $ par année et pour cela il fallait une convention collective. Elle signa la première en 1941 à Port-Alfred au Saguenay (où j’enseignais à l’époque). Quel long travail depuis 1937!

Chaque année, il y avait un congrès provincial. Le premier fut à La Malbaie et, comme il n’y avait que six régions qui s’étaient syndiquées, elle invita les déléguées à sa résidence pour un thé sur la pelouse du beau domaine qu’elle avait hérité de ses parents et où elle habitait avec ses deux sœurs également retraitées. Nous avons eu la chance de visiter cette belle vieille maison québécoise où tout reluisait et d’où l’on voyait le fleuve.

Elle assistait aussi chaque année à l’une de nos assemblées générales. Elle avait fondé un petit journal qu’elle publiait chaque mois et qui s’appelait La Petite Feuille. C’était une feuille pliée en quatre, imprimée recto verso qui donnait les nouvelles des régions. Elle préconisait la fondation de cercles d’études mensuels afin de garder la flamme vive comme elle le disait, car les commissaires cherchaient à intimider leurs «maîtresses » au cours de l’année et à les forcer de signer un engagement à bas prix.

Mlle Gaudreault, lorsqu’elle prit sa retraite, eut l’idée d’aller voir à Québec (ça, c’était au gouvernement) comment on employait le 3 % versé chaque année au fonds de pension. Elle constata avec stupeur que cet argent était déposé au fonds général des fonctionnaires. Elle était outrée. Elle annonça une prochaine visite. Entre temps, elle a dû consulter des hommes de loi et elle retourna à Québec où il y eut une rencontre mémorable entre le premier ministre Duplessis et elle-même. Je me suis laissé dire qu’elle s’y présentait sans passer par l’intermédiaire de son député et que le premier ministre se faisait assister par un ou deux collègues quand il avait vent de sa visite. Enfin, elle réussit à faire déposer une réserve qui est devenue la CARRA et a donné naissance à notre fonds  de retraite actuelle.

Thérèse Fortin